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Titel
De Gandhi à Fanon. un religieux face à la guerre d’Algérie


Autor(en)
Pous, Jacques
Erschienen
Villeurbanne 2012: Editions Golias
Anzahl Seiten
298 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Luc Weibel

Il y a cinquante ans, les accords d’Evian mettaient fin à la guerre d’Algérie (1962). A cette occasion, on a reparlé de l’engagement des jeunes Français qui refusèrent d’obéir aux ordres de mobilisation. L’un d’eux, Jacques Pous, qui vit aujourd’hui à Genève, a décidé de témoigner de son engagement anticolonialiste. Pour ce faire, il a consulté sa mémoire, mais aussi une série de documents en sa possession, liés notamment à «Jeune Résistance», un mouvement qui regroupait certains réfractaires et facilitait leur passage dans la clandestinité.

Le cas de Jacques Pous est particulier car il ne se limite pas à l’expression d’une volonté antimilitariste; il n’est pas non plus un objecteur de conscience. Sa décision est le résultat d’un long processus qu’il nous décrit dans tous ses détails, en le liant à ce qui fut le grand engagement de sa jeunesse: son adhésion à la «Fraternité Charles de Foucauld», une confrérie catholique dont les membres avaient à coeur de vivre leur engagement «au coeur des masses».

Né en 1935 à Toulouse, Jacques Pous souligne plusieurs aspects de ce qu’il appelle ses «racines». Dans le milieu populaire où il a grandi, on était partisan du Maréchal Pétain. Sa mère était une catholique convaincue, mais d’un catholicisme ouvert aux réalités sociales. C’est ce climat de conviction sincère qui explique que Jacques fait ses études d’abord au Petit Séminaire puis, à Paris, au Grand Séminaire des Missions étrangères. Brillant élève, il obtient un «baccalauréat de philosophie scolastique» à l’Institut catholique, qui aurait pu lui ouvrir les portes de l’Université grégorienne de Rome. Mais sa vocation est toute franciscaine: d’où son choix de la Fraternité Charles de Foucauld. Après une période de noviciat, il prononce ses voeux (1957), et part pour le Sri Lanka, où il partagera la vie d’un petit groupe de religieux. Missionnaires? En cette période de décolonisation (le Sri Lanka est indépendant depuis 1948), il ne s’agit plus de faire du prosélytisme, mais de partager la vie des gens les plus simples – si possible en exerçant un métier –, en essayant de comprendre leur genre de vie, leurs croyances et leurs rites. L’auteur nous livre ici – outre un récit parfois picaresque de ses tribulations de jeune Occidental confronté aux réalités du «tiers monde» – un passionnant reportage sur ce qu’était le Sri Lanka à l’époque où l’écrivain genevois Nicolas Bouvier y fit un séjour – d’un genre bien différent il est vrai. Sur la condition des Tamouls amenés dans l’île pour la récolte du thé, il a des pages d’une rare acuité. A cette occasion, notre religieux comprend peu à peu la réalité du «système» colonial, et il s’aperçoit que ses confrères ne partagent guère son indignation.

C’est ici que se situe (au bout de trois ans) le retour de Pous en France. Appelé à faire son service militaire en Algérie, il n’ignore pas ce qui s’y passe exactement. Il n’a pas l’intention de répondre à son ordre de marche, et s’en ouvre à ses supérieurs. L’Eglise n’est pas indifférente à la réalité de la «sale guerre». Certains aumôniers ont protesté courageusement contre la pratique de la torture. Les soldats «chrétiens» doivent s’efforcer d’être fidèles à leurs principes, mais il n’est pas question de rompre avec l’obligation de servir. Aussi bien le supérieur de Jacques lui enjoint de déférer à son ordre de mobilisation, en lui rappelant qu’il a prononcé des voeux d’obéissance… Le petit frère ne peut s’y résoudre. Il rompt avec la légalité. «Jeune Résistance» l’aide à se cacher, puis à passer en Allemagne. Il se rend ensuite à Tunis, où il se met au service du FLN. On lui confie des tâches d’enseignement, à vrai dire subalternes. Tout en étant sans concession sur les responsabilités de l’Etat français, Pous reconnaît que les méthodes de gouvernement du FLN n’avaient rien de démocratique. Contrairement à d’autres réfractaires qui, après le cessez-le-feu, iront travailler en Algérie au service de la Révolution, il revient en Europe. Comme il ne peut retourner en France – il est sous le coup d’une condamnation pour désertion –, il s’installe à Genève, où il est aidé par les groupes qui avaient contribué à la lutte du FLN. Il y accomplit des études «laïques», à la Faculté des lettres, et devient professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire.

Il n’a pas oublié son engagement anticolonialiste. Dans les archives cantonales, il découvre l’existence des Suisses qui avaient créé une compagnie pour développer des activités coloniales en Algérie. Parmi eux, un certain Henry Dunant. D’où le titre du livre qu’il consacra à cet épisode peu connu de la contribution suisse à l’exploitation du «tiers monde»: Henry Dunant l’Algérien (Genève, Grounauer, 1979).

L’auteur a également publié un autre livre, où il renoue avec le thème de ses premières études: La tentation totalitaire, Essai sur les totalitarismes de la transcendance (Paris, l’Harmattan, 2009). Le monothéisme est au centre du débat, mais c’est pour lui reprocher d’avoir alimenté la violence des hommes au lieu de la combattre. Un ouvrage de 508 pages, qu’il n’est pas question de discuter ici, mais qui impressionne par l’étendue de son information sur les trois religions du Livre. On y trouvera, en théorie, ce qui apparaît en pratique dans De Gandhi à Fanon. Chez Jacques Pous, l’analyse philosophique débouche sur l’engagement politique. Un engagement où l’individu ne peut s’en remettre à un code préétabli. Il ne peut échapper au choix qui lui est demandé, et qu’il est seul à pouvoir assumer.

Zitierweise:
Luc Weibel: Rezension zu: Jacques Pous: De Gandhi à Fanon, un religieux face à la guerre d’Algérie. Villeurbanne, Editions Golias, 2012. Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 169-170.

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